Accueil Rédaction FAQ Liens Contacts

Qui est en ligne ?
Nous avons 1 invité en ligne

Numéros
  + Prochain numéro
  + N° 1, octobre 2008
  + N° 2, avril 2009
  + N° 3, octobre 2009
  + N° 4, avril 2010
  + N° 5, decembre 2010
  + N° 6, juin 2011
  + N° 7, decembre 2011
  + N° 8, juillet 2012
  + N° 9, janvier 2013
  + N° 10, juillet 2013
  + N° 11, octobre 2014
  + N° 12, octobre 2015
  + N° 13, octobre 2016

Rechercher

Mot-clé :

Éditorial : Le juriste (enfin) dans la Cité

 


 

 

Lire l'Éditorial (en PDF)

Retour au sommaire

 

 

L’un des mérites du mariage que l’on souhaite à présent « pour tous » est d’avoir appelé de manière assez spectaculaire les juristes à s’exprimer dans l’agora, que se soit évidemment dans des revues spécialisées mais également dans la presse généraliste. On a notamment vu s’édifier ces derniers mois un débat assez vif et quelque peu confus relativement à la compétence du législateur ordinaire et de l’existence éventuelle d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République constitué par la dimension hétérosexuelle du mariage. Quelles que soient les positions tranchées et irréconciliables des uns et des autres, l’enseignant en première année de droit se réjouira au moins de voir ces concitoyens instruits de l’existence de tels principes !

Cette situation ‑ celle de la prise de parole publique des juristes, en particulier universitaires - qui devrait sans doute être banale et ne devrait faire l’objet d’aucun commentaire particulier, constitue en fait un événement assez considérable, tant la tradition intellectuelle en France est marquée par une forme d’indifférence sinon de mépris envers le droit et les juristes.

Certes Robespierre et Danton furent avocats et la Révolution française fut l’œuvre de robins nourris à la lecture des œuvres des penseurs du droit naturel moderne, en particulier de J.-J. Rousseau (on déplorera d’ailleurs que le grand homme n’ait pas reçu l’hommage à la dimension que le tricentenaire de sa naissance commandait). Mais l’Histoire de France demeure faite par les grands Hommes, rois bâtisseurs et jeunes généraux rebelles et romantiques, qui par leur abnégation et leur courage, souvent leur habileté, ont ajouté leur pierre au grand édifice national. À la fin du XIXème siècle, naît à la faveur de la défense d’un jeune capitaine d’artillerie, une nouvelle figure majeure du roman national français : l’intellectuel. Sévère et grave, révolté et épris de justice, celui-ci reprend avec fierté et honneur ce qualificatif d’abord péjoratif, pour accomplir dans L’Aurore, puis dans Combat et Les Temps modernes, sa fonction messianique de vérité. Homme d’État ou homme de Lettres : voilà où s’incarne le génie français. R. Debray affirmait d’ailleurs pour railler la construction européenne qu’une nation était le fait « de poètes et de soldats », quand l’Europe n’était que celui des banquiers et des… juristes !

Le Professeur de droit apparaît tout étranger à cette geste là et il le doit tant à la conception du droit que de la science vouée à le comprendre et l’expliquer. En effet, en France, le droit est souvent ramené à l’expression, le produit de la loi démocratique. Le droit ainsi noyé dans une problématique de choix politique, ce qui reste de question juridique est au mieux réduit à une question de simple procédure. Par ailleurs la pensée juridique française, issue de la tradition civiliste, elle‑même influencée par les pandectistes allemands, se construit autour des grandes théories générales, cette mise en système rationnelle des données issues de la loi et de la jurisprudence. Mais ce modèle qui a permis de légitimer l’autonomie de la science du droit, l’a par contrecoup renfermé sur elle-même et coupé le juriste de l’apport des autres sciences sociales. Dès lors les juristes français apparaissent comme les membres d’une caste de techniciens détenant un savoir scientifique ‑ donc un pouvoir ‑ dissimulé derrière un jargon malin et obscur, professant à l’ombre des bustes froids de Macarel et d’Aucoc.

Tout autre est la situation du juriste anglo-saxon et en particulier américain. Dans une culture ou l’ensemble de la société est analysée à travers le prisme de la propriété et du contrat, ou les décisions de justice se réfèrent explicitement à Locke et à Freud, le juriste est un véritable intellectuel qui parle à ses concitoyens, au même titre que ses collègues économistes, anthropologues ou psychanalystes dont il connaît d’ailleurs les travaux. Alors que les lecteurs du Figaro découvrent qu’il existe des PFRLR supérieurs aux lois ordinaires, les séries télévisées américaines regorgent depuis longtemps de référence à la Constitution de 1787 et de ses amendements !

Certes, la prise de parole publique des Professeurs de droit laisse subsister quelques interrogations. En particulier, on concèdera volontiers le risque d’entendre une parole militante cachée derrière le masque de l’objectivité scientifique. Mais au fond, ce piège n’est pas propre à la science du droit et même les sciences dites dures ne sauraient complètement y échapper (on pense en particulier aux récentes controverses suscitées par des études sur les organismes génétiquement modifiés).

Notre propos ne consiste pas en la célébration de la transgression de l’éthique wébérienne entre le savant et le politique (si encore une telle éthique se peut en ce qui concerne une science qui construit elle-même ses objets) mais en l’affirmation d’une responsabilité du juriste à ne pas se laisser déposséder ‑ ce qui n’exclut pas, on l’aura compris, le partage - d’un discours sur les grandes notions juridiques, au risque de voir ces dernières s’altérer pour ne ressembler qu’à des coquilles vides. Les exemples ne sont pas si rares. Que reste-t-il ainsi du service public depuis que celui-ci s’est vu placé sous l’égide d’un discours économiciste et managérial ? Que reste-t-il de la démocratie quand le tri des ordures ménagères devient un geste citoyen ?

En démocratie, les citoyens ne sauraient être soumis aux décrets des prêtres, et les juristes ne sauraient former une caste aristocratique au sein de la Cité. Mais l’affirmation d’une véritable autonomie ‑ qui ne signifie pas autarcie - de la science juridique passe nécessairement par une ouverture de la chaire au forum. L’hommage que le juriste doit aux bustes de Macarel et d’Aucoc ne demande pas moins, mais cela, évidemment, c’est vous qui en jugerez.

Il n'y a plus qu'à vous souhaiter une agréable lecture et une bonne navigation !

 

Xavier Souvignet

 

 

Design by JPhD - Copyright © 2009 Jurisdoctoria

Mentions légales